Pierre Leguillon
"Une exposition d'oeuvres d'art contemporain en vente sur Ebay"
La spéculation intellectuelle que l'on fait sur les oeuvres d'art peut-elle se mesurer à la spéculation marchande des objets mis en vente sur Ebay ? Revenons sur une expérience osée par Pierre Leguillon lors de la vente qu'il organisa sur Ebay de la totalité des pièces montrées dans l'exposition "Le dernier qui parle" présentée en début d'année au Frac Champagne Ardenne.
La particularité de l'ensemble de la collection présentée comme telle est d'être une sélection de documents pour la plupart imprimés et recoltés par l'artiste comme autant de pièces d'un puzzle lui permettant de donner une réflexion sur le statut de l'oeuvre d'art et d'en éprouver ses limites. Si la coïncidence et le traitement par analogie est souvent un mode opératoire que Leguillon utilise pour faire émerger le sens de ses oeuvres, ici, c'est clairement le contenu documentaire de la collection mis en vente qui renvoyait à la nature des pièces qu'il est possible d'acheter couramment sur Ebay : cartes postales, pages de publicité vintage, photographies de cinéma, gravures ou estampes et une sélection de pièces plus rares parfois telle qu'une lettre que lui a adressé Douglas Gordon.
Ce n'est pas sans coïncidence non plus si l'artiste a rediffusé les pièces qu'il a chiné sur Ebay augmentées parfois de dix fois leur valeur courante (indiquée en prix de réserve) puisqu'elles deviennent les pièces constitutives de cette démarche inlassablement référentielle dont la preuve était fournie par un certificat remis à l'achat et portant la mention spéciale "ancienne collection Pierre Leguillon".
Il n'y a donc pas de doute sur la nature artistique de ce geste, flirtant avec les réseaux de diffusion parallèles, et revendiquant une place volontairement en marge des systèmes légitimant actuels du marché de l'art établis par les galeries. Notons, toutefois, que la galerie "Air de Paris" a accepté d'organiser la vente tout en se portant caution auprès des acheteurs potentiels.
On mesure parfaitement le désir omniprésent qui l'anime de contrôler les modes de diffusion de ses productions et d'assumer comme une démarche la promotion de son travail, à l'image de l'homme sandwich qu'il a fréquemment utilisé dans ses associations d'images. Même s'il ne nous échappe pas que ce geste peut être aussi celui d'une solution trouvée pour répondre à un besoin de subsistance teinté de désillusion.
Il faut, cependant, reconnaître le courage de la tentative et les risques encourus pour son image en cas d'échec de l'opération.Un bon relais de communication par mail a été assuré conjointement par la galerie et l'artiste qui avait également prit soin de réaliser un catalogue de vente très renseigné sur les pièces disponibles. Une sélection d'oeuvres était disponible à la galerie et présentée sur l'un des murs.
Pourtant, le résultat des ventes est resté assez mitigé. Beaucoup d'enchérisseurs ont misé sur l'ensemble des pièces, mais très peu de ventes effectives ont abouti en partie pour les mêmes raison qui justifient la qualité et le sens de son travail : de forts prix de réserve qui ont sans doute essoufflés les parieurs, et la distance de l'anonymat qui ne facilite pas la communication sur les oeuvres.
Comme toute expérience artistique qui requiert la participation du public pour fonctionner, elle se limite souvent à une activation plutôt exceptionnelle et confirme que la tentative de l'artiste pour contrer un système exclusif de reconnaissance par le marché, n'a pas infléchi l'engagement des collectionneurs, ni contrer leurs habitudes d'achat. Celles qui consistent à valider et soutenir le choix d'un galeriste parfois plus qu'à s'engager pour le travail d'un artiste isolé.
Sophie Auger
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